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La voix de l’enfant : un véritable enjeu éducatif

Par Thomas Fabre • 17 décembre 2020

On dit parfois que la voix est le miroir de l’âme. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le « piège » ou « l’injustice » qui se cache derrière ces mots : car le plus souvent, on ne prête attention au miroir lui-même que lorsqu’il présente un défaut visible, qu’il est sale, fêlé ou brisé, qu’il déforme ou change les couleurs. Il en va exactement de même avec la voix ! On a tendance à ne pas vraiment s’y intéresser tant qu’elle est « normale »...

Des enjeux variés

Cette problématique n’est d’ailleurs pas propre à l’enfance, mais elle y a des enjeux considérables et pourtant assez peu exploités. On peut s’en étonner puisqu’à l’évidence il est plus facile de « prendre des bonnes habitudes » que d’en corriger de mauvaises qu’on aurait laissées s’installer. Quels sont ces enjeux ?

La voix de l’enfant, un formidable instrument d’éveil sensoriel

L’éveil sensoriel désigne en réalité un long et foisonnant chemin qui commence avec la première découverte de soi et du monde à travers nos sens, se prolonge au cœur d’une exploration plus avancée et s’avance progressivement vers une prise de conscience des possibilités et des limites de notre corps. L’horizon ouvert par la connaissance et la maîtrise de ces possibilités est illimité et ouvert à tous  !

La première voix de l’enfant est un cri de tout le corps, involontaire, puisque la fonction biologique du larynx n’est pas d’abord de produire des sons mais de permettre la respiration.

L’exploration des sensations qui en résultent est d’autant plus vaste que le corps tout entier est l’instrument de la voix, et que – fait remarquable – la plupart des informations sensorielles reçues par le cerveau passent par l’oreille et pas seulement le son, comme on pourrait l’imaginer au premier abord.

Tout au long de l’enfance, le cri, le babil, puis le chant et la parole vont permettre d’expérimenter, d’innover et de « faire le tri » face à cette multitude de sensations. Que ce soit pour favoriser un éveil harmonieux ou pour prévenir des risques (difficultés vocales, respiratoires, sensorielles ou sociales), cette exploration au départ instinctive gagne bien naturellement à être guidée et accompagnée.

De l’inné à l’acquis : pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

D’instinct, sans l’aide de personne, nous savons utiliser notre voix, et nous savons respirer. Mais quel dommage de se priver d’un réel apprentissage aussitôt que l’objectif premier de ces fonctions est atteint : être capable de communiquer pour ce qui est de l’apprentissage vocal, ou assurer une oxygénation suffisante par la respiration !

L’expérience autant que la science et ce, de manière toujours plus précise depuis des millénaires, nous apprennent que ces fonctions ne sont qu’un « minimum vital », et qu’il y a d’immenses bénéfices à poursuivre leur exploration. On ne les développera pas ici : ils sont largement documentés. Mais alors, si savoir respirer permet de mieux gérer ses émotions, de mieux digérer, nager ou parler et de supporter aussi bien une séance chez le dentiste qu’un accouchement, comment expliquer que cet apprentissage soit encore si souvent réservé aux besoins spécifiques de ceux qui ont choisi de pratiquer tel sport, le yoga ou le chant : ne devrait-il pas plutôt faire partie des « fondamentaux » ?

La voix, une question de civilisation

En réalité, l’Éducation Nationale reconnaît bien que « la pratique du chant à l’école apporte de nombreux bénéfices aux élèves. Elle permet à chacun de développer sa sensibilité, de vivre une expérience physiologique et psychologique particulière et de développer le travail de la respiration ». Et parmi les objectifs assignés à la pratique du chant, la plupart échappent au cadre strict de l’éducation musicale : articuler pour être compris, mémoriser des chants, écouter les autres, répondre à un geste précis et coordonné, maîtriser sa production vocale (en intensité, vitesse et fréquence), prendre la parole, dialoguer et même construire son identité.

Pourtant, notre système éducatif (au sens large – c’est en réalité toute notre culture qui est en cause) reste réticent à confier au chant et à la musique des objectifs pédagogiques à la mesure de ces enjeux : ils restent essentiellement cantonnés à la sphère du loisir et du divertissement.

Une situation qui pourrait bien évoluer puisque l’éducation bénéficie désormais d’un soutien précieux : celui des neurosciences. En pleine expansion depuis quelques décennies, elles s’intéressent de très près à la musique et à l’éveil sensoriel…